Manager, cela s’apprend en pratiquant
La notion de prudence aujourd’hui est comprise comme une douce injonction.
« Sois prudent » est une phrase qui se veut rassurante et maternelle.
Elle est une vertu cardinale et même la mère de toutes les vertus, dont les trois autres vertus cardinales sont : la force d'âme, la tempérance et la justice.
La question qui vient naturellement à l’esprit est celle de sa nature véritable.
Pour cela, j’en cherchais une représentation visuelle. Mon enquête m’amena à Assise. Dans la chapelle inférieure de la basilique, Giotto di Bondone peignit une fresque sur la vie de saint François. Au milieu de celle-ci, pour illustrer et accompagner les vertus franciscaines d’humilité et d’obéissance, le peintre représenta la « Prudentia » : une femme au curieux visage biface avec trois objets : un miroir, un compas et un astrolabe.
Au travers de la symbolique illustrée de cette belle et maternelle vertu, nous pouvons mieux en saisir la dimension.
Le miroir. Le symbole est clair : c’est le « connais-toi toi-même » inscrit sur le fronton du temple de Delphes. Cette permanente exigence nous accompagne et ce, quel que soit notre métier, notre fonction et notre responsabilité.
Le compas. L’outil associe les notions de mesure, de précision et d’angle. Le fait, rien que le fait et tout le fait, pouvant s’analyser selon des angles différents.
L’astrolabe est l’instrument d’observation des astres. C’est le regard tourné vers les étoiles.
Le visage biface. Le visage jeune tourné vers le présent et l’avenir, et le visage plus âgé regardant le passé. Conjuguer l’expérience à la vision, tel est le double message que nous apporte cette vertu.
En quoi cette vertu est-elle nécessaire au dirigeant ?
L’ensemble de ces attributs fait mieux saisir la place éminente de la délibération, ce moment capital de l’exercice de la vertu de prudence, qui suit l’initiative et précède la décision.
Bien se connaître constitue un préalable pour diriger les autres. Se connaitre, c’est reconnaitre ses propres talents et accepter ses limites. Cette connaissance de soi est un chemin de vie. Elle se construit seul, et avec les autres.
La prise en compte objective de la réalité est indispensable. Cette objectivité nécessite souvent la considération de points de vue autres que le sien propre. La prudence du chef se nourrit du point de vue des autres. Le prince écoute ses conseillers et entend ses adversaires. Il décide en connaissance de cause. La prudence pleinement exercée donne une plus grande force à la décision.
Le dirigeant est porteur de la vision. La vertu de prudence replace les faits observés dans une perspective. Et cette perspective suppose une vision. C’est ce qui distingue fondamentalement la prudence du concept de précaution. La prudence n’efface pas le risque, elle l’intègre comme un élément, important certes, mais contingent, de l’action. Un chef ose. Mais il ose en ayant conscience des risques que son audace peut entraîner. Il ose parce qu’il voit au-delà du risque.
L’expérience est une source inépuisable d’enseignements pour le décideur. Cette expérience snourrit d’erreurs surmontées, de décisions hasardeuses et de victoires inspirantes. C’est en quelque sorte la mémoire de l’action. Elle permet à celle-ci d’être mûrement réfléchie. Cette expérience constitue une richesse au service de la vision du dirigeant.
La prudence est une vertu qui s’exerce quotidiennement dans les petites et les grandes choses. « Per angusta ad augusta ». Telle était la devise de l’empereur Auguste que nous pouvons traduire ainsi : « En accomplissant de petites choses, on accède aux grandes ». Et la « Prudentia » est l’instrument privilégié qui permet le passage des unes vers les autres.
C.E.E.
François-Joseph VELLA